Message de Christelle du 16 juillet 2007

Publié le par Christelle Gaborieau

Le 16 juillet 2007
 
Bonjour tout le monde,
Voici quelques nouvelles !
Le 31 mai un évènement inattendu a secoué toute la communauté chrétienne de la Préfecture Apostolique de Mongo : le décès accidentel du Père Tarcisio, missionnaire italien et curé de la paroisse d'Am-Timan.
Il arrivait en voiture sur Mongo lorsque le chauffeur a perdu le contrôle de la voiture. La gendarmerie s'est alors rendue au bureau de l'évêque en disant qu'un Blanc avait eu un accident et qu'il fallait venir voir s'il n'était pas connu de nous.
Bien entendu, au Tchad, il n'y a pas de pompiers ou d'ambulances. Il a donc fallu que ce soit le personnel de la Préfecture Apostolique de Mongo qui emmène le blessé à l'hôpital. Il avait une grosse fracture au niveau de la jambe et une grosse plaie à l'oeil. Il est rapidement décédé à l'hôpital.
Là non plus, pas de services de pompes funèbres et chacun a dû mettre la main à la pâte pour organiser l'enterrement. Le corps, enroulé dans des tissus, a eté transporté ensuite jusqu'à l'église où une partie de la communauté chrétienne, arrivée en toute hâte des quatre horizons, s'est recueilli le temps que les préparatifs avancent.
Un menuisier musulman a fabriqué le cercueil sur les conseils d'un prêtre. Mais comme il n'avait pas l'habitude (les Tchadiens sont enterrés à même le sol, enroulés dans des nattes), la boite était à peine assez longue pour le corps mais par contre beaucoup trop haute. La mise en bière du corps a dû être effectuée en deux fois à cause des dimensions de la boîte. Sous  le regard de la communauté chrétienne, la fermeture de la boîte a été effectuée en direct par le menuisier qui avait apporté ses clous et son marteau. Tout cela m'a donné une impression étrange, comme si la mort apparaissait dans toute sa nudité, sans fioritures.
Nous avons ensuite marché derrière la voiture transportant le corps jusqu'au terrain vague pompeusement appelé cimetière. Il a fallu attendre que les hommes aient fini de creuser la tombe à la barre à mine. Cinq heures de travail acharné à cause du sol dur et caillouteux Un vrai travail de forçat ! Ce décès a profondément marqué la communauté chrétienne. La mort par accident de la route est tellement courante ici en raison du mauvais état des routes et des voitures, de la non-formation des chauffeurs (il suffit de payer 30 000 F CFA pour avoir son permis de conduire sans avoir passé aucune leçon de conduire) que cela n'étonne personne. Mais cette mort  a semblé pour tous un "gâchis" car l'accident a semblé évitable. Cela pose aussi de façon cruciale la question de la fragilité de nos vies.
Après cela, j'ai eu l'opportunité de passer quelques jours à l'Est du Tchad avec les deux responsables des bibliothèques. Partis de Mongo, nous nous sommes dirigés vers Abéché. Le paysage devenait de plus en plus désertique, parsemé de petits arbres épars. Des apparitions étranges ont rythmé le parcours : un petit village avec un minaret bleu turquoise dans un paysage ocre, un troupeau de moutons noirs "broutant" sur une dune de sable jaune, des montagnes avec des coulées de sable semblables à des glaciers.
Enfin, après de longues heures de route, la ville d'Abéché, porte de l'Orient,  est apparue, diamant étincelant perdu au milieu des sables, son minaret bleu pointant vers le ciel. Une apparition digne des contes des mille et une nuits.
La ville d'Abéché m'a paru très sèche, peu ombragée à cause de la rareté des nimiers, gros arbres procurant de l'ombre. Cette impression a été renforcée par le fait que les bâtiments, les arcades sont blancs et reflètent le soleil, qui écrase déjà lourdement la ville.
Abéché était auparavant une grande ville tranquille mais qui a connu un essor inattendu suite au drame du Darfour. Les ONG sont très présentes et le coût de la vie s'en ressent. C'est ainsi qu'un enfant madjirin (enfant mendiant de l'école coranique) me demandait 500 F d'aumône alors qu'ailleurs, il aurait réclamé 50 ou 100 F. Certaines ONG emploient uniquement des expatriés avec un salaire européen, d'autres emploient de la main-d'oeuvre tchadienne mais avec un salaire  de 5 à 10 fois supérieur à la moyenne nationale. La population locale, elle, ne voit pas forcément son salaire augmenter, ce qui conduit à un appauvrissement de la population.
Nous avons été logés à la mission catholique, et les conversations avec le Père Joël Rouméas, breton bourru mais au coeur d'or, ont été extrêmement enrichissantes à cause de sa profonde connaissance du milieu.
Puis, le surlendemain, nouvelle opportunité : le Père Joël a accepté que nous l'accompagnions dans sa visite de la communauté chrétienne de Goz-Beida, un des camps de réfugiés du Darfour. Je ne vais pas m'étendre sur les causes politiques du conflit du Darfour mais les conséquences en sont qu'un afflux de 200 000  réfugiés soudanais et 150 000 déplacés tchadiens se sont rassemblés dans une douzaine de camps à l'Est du Tchad (Adré, Goz-Beida, Guereda, Farchana...).
Il faut d'abord faire une distinction entre réfugiés et déplacés. Les réfugiés, qui sont soudanais, ont été récupérés à la frontière il y a quatre ans par des ONG et emmenés en camion jusqu'à des camps aménagés pour eux. Ils bénéficient de fonds importants pour la nourriture (PAM), l'eau (OXFAM), les soins, l'éducation Les déplacés tchadiens, quant à eux, sont arrivés à pieds mais ne bénéficient d'aucune aide internationale car ils relèvent de la responsabilité du gouvernement tchadien.
Nous voilà donc partis dans un gros 4X4 en direction de Goz-Beida. La route a été aménagée récemment pour permettre le passage des convois humanitaires mais elle reste bien cahoteuse. À maintes reprises, il a fallu enclencher les "4 roues motrices" pour traverser des zones top sableuses tandis qu'à d'autres moments, les trous étaient si profonds que nos pauvres têtes heurtaient le plafond de la voiture. Pendant tout le voyage, nous nous sommes sentis comme des fraises dans un mixer, tourneboulés dans tous les sens.
Le premier soir, nous avons fait escale à mi-chemin, dans le petit village d'Abdi. Accueillis par la toute petite communauté chrétienne (15 personnes), nous y avons célébré la messe ensemble, partagé la boule, puis dormi, les uns à côté des autres à la belle étoile. Une expérience revigorante de simple fraternité.
Le lendemain, nous avons repris notre route vers Goz-Beida. J'ai été très surprise en arrivant aux camps. J'imaginais le camp comme un alignement de tentes. Effectivement, au début, ils étaient logés dans des tentes, mais par la suite, ils ont construit des cases en matériaux traditionnels.
Des questions nombreuses se posent : dans combien de temps sera-t-il possible pour eux de retourner dans leur village d'origine ? Les ONG, peu optimistes, parlent de dix ans. Que deviendront alors ces jeunes grandis au camp, loin des repères traditionnels du village, et qui ont été habitués à tout recevoir gratuitement : de la marmite au charbon, de l'éducation aux soins ?
Combien de temps l'environnement sera-t-il capable de supporter un tel afflux de personnes ? L'eau, le bois vont manquer à  plus ou moins long terme. Cela risque de générer des conflits importants.
Il y a déjà des conflits liés au mode d'organisation. Lors de l'arrivée des premiers réfugiés, la population locale a dans un premier temps partagé ses réserves avec les réfugiés par souci d'hospitalité. Mais quand les ONG sont arrivées, elles ont distribué la nourriture uniquement aux réfugiés, laissant la population locale démunie, ce qui a engendré des tensions 
Un autre phénomène observé à Mongo, Abéché et Goz-Beida : la présence d'enfants soldats dans les rues, 12-14 ans pour les plus jeunes d'entre eux,  en uniforme et mitraillette à la main. Dans un premier temps, le gouvernement a nié la présence d'enfants-soldats dans ses troupes. Récemment, il vient de le reconnaître et d'accepter leur démobilisation progressive. Ces enfants ne peuvent être rendus à leur famille immédiatement : sans travail et éducation, ayant vécu loin de toute structure familiale, parfois en mauvaise santé, ils auraient beaucoup de difficultés à se réinsérer dans un village traditionnel. De plus, ayant pris le goût de tuer, ils seraient capables de faire usage de leurs armes à la moindre contrariété.
C'est donc la mission de Catherine, appartenant au Jesuit Refugee Service (JRS) de mettre en place avec son équipe un camp de réinsertion des enfants-soldats. Elle me rapportait les propos d'un enfant-soldat, ayant appartenu aux forces rebelles ralliées aux forces gouvernementales : "Ce sont nos chefs qui se sont ralliés, nous, nous ne sommes pas d'accord. C'est nous qui allons prendre les armes pour faire le coup d'état." Il a 14 ans ! Sans commentaire...
Ce petit voyage dans l'est du Tchad m'a ouvert les yeux sur un aspect dont j'avais entendu parler mais dont je n'avais pas mesuré l'ampleur.
 
Après ces quelques jours, je suis retournée à Bitkine. Là, j'ai vécu un autre évènement étrange : l'examen du BEPC.
Le jour même, nous sommes arrivés à l'heure juste. Les organisateurs venaient de se rendre compte qu'ils n'avaient le droit qu'à 5 salles d'examen alors qu'ils en avaient prévu six. Il a donc fallu dans un premier temps réorganiser toutes les salles, transbahuter des bureaux d'une salle à l'autre, réécrire les numéros à la craie sur chaque bureau. Le résultat était moyen : par manque de place, 3 bureaux étaient collés les uns aux autres, d'un mur à l'autre et sans allée centrale, ce qui obligeait les jeunes et les surveillants à monter sur les bureaux pour rejoindre les bancs du fond. Cela fait, l'épreuve a pu commencer avec ...1h30 de retard.
Mais je n'avais encore rien vu. Les enveloppes de sujet avaient déjà été ouvertes et rescotchées. Cinq minutes après le début des épreuves, certains professeurs sont allés inscrire le corrigé du sujet au tableau, d'autres ont filé l'épreuve corrigée à des élèves, tandis que dans l'épreuve d'Anglais, le professeur d'Anglais traduisait le texte et les questions. La directrice du collège, vice-présidente du centre d'examen, n'en finissait pas de retirer les anti-sèches aux élèves, d'interdire aux professeurs l'entrée des salles. Mais avec  relativement peu d'efficacité puisque lorsqu'elle a demandé au président du centre d'examen de mettre zéro à une épreuve parce que le professeur lui avait donné la correction, il lui a répondu qu'elle ne pouvait pas être sûre que d'autres élèves n'aient pas profité de cette feuille et donc on ne pouvait pas prendre une telle mesure. Ce qui est désespérant c'est que ce sont les mêmes professeurs qui la veille tenaient un discours cohérent sur la baisse de niveau et qui, le lendemain, donnent le corrigé des épreuves aux élèves. C'est désespérant !
Après cela, j'ai fait préparer un petit méchoui pour mon départ. Nous sommes allés avec Bani, notre cuisinier, acheter un patit cabri. Mais devant les prix, le petit cabri blanc s'est transformé en un petit mouton noir. Puis un homme a transporté le mouton sur ses épaules tel un berger de la crèche jusque chez le boucher. Puis nous lui avons fourni de la semoule, des oignons, et de l'huile. Celui-ci nous a donné le lendemain un beau petit mouton bien doré, cuit au four traditionnel en briques, et que j'ai pu partager avec joie avec mes amis. Un vrai régal !
Quelques jours après, c'était le départ. Il a fallu dire au revoir à tout le monde sans avoir l'assurance de les revoir un jour. C'est dur de quitter des gens avec qui j'ai passé tant et tant de temps !
Quelques jours à N'Djaména puis direction Sarh, dans l'extrême sud du pays, grâce une fois de plus, à une opportunité. Le paysage est très différent : sans relief, il est extraordinairement vert grâce à de grands et beaux arbres aux noms exotiques (karité, frangipaniers, rôniers, flamboyants...). Le fleuve Chari dans lequel j'ai eu la chance de voir des hippopotames sortir périodiquement leurs oreilles et leur museau bruyamment de l'eau y déambule paresseusement, des pirogues circulant au fil du courant. Des cases carrées en briques poussent ça et là sur une terre couleur sang.
Depuis que je suis à Sarh, je ne m'ennuie pas. J'ai vécu deux expériences intéressantes.
Le vendredi, un partage d'évangile en prison. Au début, j'étais sceptique sur l'opportunité d'un telle activité, mais à voir l'attention avec laquelle les prisonniers écoutaient la sœur commenter le passage d'évangile, la joie à nous regarder mimer ce texte et l'empressement à venir échanger avec nous à la fin de ce temps, cette expérience m'a conquise. Au début, il est vrai, j'étais réticente, surtout quand je suis rentrée dans cette grande cour carrée où s'entassent 200 prisonniers, et où se côtoient des prisonniers à longue peine pour meurtre et des présumés innocents qui attendent leur jugement depuis plus d'un an. Mais l'expérience a balayé mes préjugés !
J'ai également pu participer à une colonie de vacances. Au début, je suis venue dans l'intention de visiter l'usine de la CST (Compagnie Sucrière du Tchad, usine qui transforme les cannes à sucre en sucre) mais je me suis vite retrouvée co-animatrice d'une équipe de bambins débordant de vie. Après la visite de l'usine, nous avons passé le reste de la journée à la campagne à organiser des jeux pour ces enfants. Ils ne se faisaient pas prier pour jouer, chanter ou danser ! À voir leurs mines réjouies et leurs yeux pétillants, j'ai vu à quel point ces enfants s'épanouissaient en comparaison de leurs congénères souvent laissés à eux-mêmes, pendant que leurs parents sont aux champs ou au travail. Un contraste saisissant ! À la fin de la journée, j'étais bien fatiguée mais heureuse. Et l'expérience risque de se prolonger encore un peu car je vais aller donner encore un coup de main dans les prochains jours...
Vous voyez, mon séjour à Sarh se passe très bien. Dans quelques jours, je rejoindrai Moundou puis N'Djaména avant de m'envoler vers la France.
À bientôt
Christelle

Publié dans christelle-tchad

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