Lettre de Christelle

Publié le par Christelle Gaborieau

Nouvelles de Christelle
 
Bitkine, le 8 mai 2007
 
 
 
               Bonjour tout le monde,
 
 
Comment allez-vous ?
 
Ici, la grande nouvelle, c’est que nous avons enfin commencé la saison des pluies.
Depuis 8 mois, pas une seule petite goutte de pluie, pas un nuage à l’horizon et une chaleur qui frôlait les 50°C ces derniers jours.
Puis subtilement, quelques petits moutons blancs sont apparus dans le ciel, apportant avec eux une odeur reconnaissable entre toutes, l’odeur de la terre mouillée. Il avait plu dans le Sud. Nous attendions notre tour. Chaque jour nous apportait de nouvelles rumeurs météo : il avait plu à Mongo à 60 km, à Boubou à 25 km.
Enfin, notre tour est arrivé. Quelques petites gouttes seulement mais cela a fait descendre la température de 18°C. Maintenant, il pleut chaque jour en fin d’après-midi un quart d’heure, mais nous attendons la grosse pluie qui permettra aux cultivateurs de semer le mil et les arachides.
 
Cette semaine, j’ai participé pour la première fois à une azumah. C’est une fête organisée pour récolter de l’argent en vue d’un voyage, d’un évènement.
Cela commence par l’arrivée en file indienne des « donneuses ». Ce sont des femmes à qui l’organisatrice a payé des voiles ou des pagnes. Souvent ce sont ses propres amies, ici une vingtaine. En contrepartie, ces femmes versent l’équivalent du prix du tissu avec un supplément.
Une fois installées, elles « ouvrent le koro », le koro étant un grand saladier.
L’amie intime commence par rejoindre le koro en dansant puis y dépose une grosse somme. Puis, l’une après l’autre, les donneuses font de même. Ensuite, les invités effectuent la même démarche.
Par moments, l’organisatrice se lève pour danser, quelques hommes l’entourent toujours en dansant, puis lui déposent des billets sur la tête ou les épaules. Les amies intimes récupèrent ensuite ces billets pour les mettre dans le koro. Le nom de chaque personne qui fait un don est consciencieusement inscrit dans un cahier avec la somme correspondante. En effet, si l’une des personnes qui a donné organise à son tour une « azumah », l’organisatrice est tenue d’y assister et de donner une somme supérieure à celle que lui avait donnée son invité.
C’est un vrai bouffe-fric.
La deuxième critique est que cela encourage le fait de se montrer. Les dons se passent en public et souvent les invités déposent un à un les billets avec de grands gestes. Pour paraître généreux, il vaut mieux donner beaucoup de petites coupures de 500 francs plutôt qu’un seul gros billet de 10 000 francs CFA. Une fois que l’argent a été versé, les invités peuvent danser toute la nuit. Un repas traditionnel leur est offert : riz sucré, Kisar (galettes), viande de mouton, mararas (abats), macaronis à la viande et beignets.
 
C’était intéressant d’y aller une fois pour découvrir ce que c’est mais je n’irais pas toutes les semaines car c’est un bon moyen de dépenser de l’argent.
 
 
Autre évènement : les fonctionnaires de tous les secteurs sont de nouveau en grève pour deux semaines renouvelables.
Nous sommes déjà en mai et ils n’ont toujours pas reçu leur paye du mois de mars.
Une fois de plus, le pays est paralysé.
Plus de soins dans les hôpitaux, plus d’école. Par exemple, à l’école, la fin des cours est prévue le 25 mai. Avec la grève, il serait étonnant que les élèves reviennent à l’école après… surtout qu’il a commencé à pleuvoir et que les élèves ont souvent la culture du mil ou des arachides comme seule source de revenus pour payer leurs études.
Le deuxième semestre aura donc duré… 2 semaines en tout et pour tout. Et comme c’est ainsi chaque année, les périodes de grèves alternant avec les périodes de cours, le niveau des élèves est désastreux. Sans compter le nombre d’élèves par classe pouvant atteindre 200 et l’absence de manuels scolaires.
Les examens risquent d’être reportés, ou même tout simplement annulés, comme cela a été parfois le cas dans le passé. Ce sont les « années blanches ».
À l’université, la situation est encore pire. Il faut parfois aller en cours pendant 3 années civiles pour réussir à obtenir son année académique, c’est-à-dire que les cours d’une année universitaire sont dispensés sur 3 ans.
Les résultats sont encore plus catastrophiques qu’au bac. L’année dernière, 9 étudiants en gestion sur 240 ont réussi à obtenir leur 1ère année de DEUG. Vous pouvez imaginer que dans ces conditions la corruption des examinateurs ou le harcèlement sexuel des filles sont monnaie courante.
Les étudiants sont souvent désespérés de ces conditions de travail, de la difficulté à suivre leurs cours, surtout qu’à cela s’ajoutent pour eux les difficultés financières. La plupart n’arrivent pas à manger un repas de haricots rouges à 100 francs CFA par jour. Alors parfois, pour couper la faim, ils consomment un « sachet » de whisky à 25 francs CFA.
Et quand ils arrivent à décrocher le précieux sésame au bout de 10 ans d’étude parfois, ils ne trouvent pas de travail car il n’y a pas d’industries au Tchad et que très peu de services.
Alors ils rêvent tous de s’exiler vers des cieux plus propices ou a défaut de se faire embaucher dans la fonction publique même s’il y a un versement des salaires irrégulier.
Là non plus, ce n’est pas simple. Pour réussir à intégrer la fonction publique, il faut beaucoup d’argent. Et ce n’est pas facile quand on est cultivateur de réussir à gagner cet argent qui servira à corrompre des fonctionnaires.
L’État étant le plus gros employeur, beaucoup cherchent à devenir fonctionnaires. On devient donc fonctionnaires plus par dépit que par goût du service public. Cela explique que beaucoup de professeurs ou d’infirmiers n’aiment pas leur métier, ce qui engendre absentéisme chronique, détournement des médicaments, corruption au moment des examens et de nombreux autres maux.
 
Je voulais vous donner des nouvelles de Chamchia, mon élève de 14 ans, qui a quitté l’école pour être mariée l’année dernière.
Elle a accouché d’une petite fille qui se porte bien ainsi que la maman.
Mais l’accouchement a été difficile et a duré 12 heures.
 
Je ne veux pas terminer ma lettre sans une touche d’humour. Je pense particulièrement à tous ceux qui ont la phobie des insectes. À l’heure où je vous écris, il y a actuellement dans ma chambre une sauterelle de 8 cm de long qui a déjà atterri dans mon cou, une énorme blatte de 10 cm de long qui tourne en rond, un scorpion « adolescent » qui se cache sous mon armoire, une grosse araignée jaune toute velue qui parcourt ma chambre à la vitesse grand V, une dizaine de mouches qui se cognent contre ma lumière, 3 ou 4 grillons qui cri-crissent à tout va sans oublier les margouillats qui dorment dans le faux-plafond et la vingtaine de sauterelles plaquées contre ma moustiquaire.
Allergiques aux insectes, s’abstenir !
 
À bientôt.
Christelle

Publié dans christelle-tchad

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