Lettre du 8 octobre 2005
NOUVELLES DE CHRISTELLE
Le 8 octobre 2005
Bonjour tout le monde,
Quelqu’un part ce soir de Mongo pour N’Djaména. Donc je vais en profiter pour faire suivre mon courrier.
L’évènement de la semaine, c’est la reprise des cours.
Lundi matin, rentrée scolaire. J’avais hâte tout de même de voir de quoi il retournerait.
La première chose qui m’a frappée, c’est la joie avec laquelle les élèves retrouvaient leurs professeurs et leurs amies. C’est vrai que pour la majorité des filles, l’école, c’est un lieu de repos physique. Durant les 4 mois d’été, elles n’ont cessé d’aller aux champs, de préparer la cuisine pour leur nombreuse famille, de s’occuper de leurs frères et sœurs plus jeunes. C’est également un lieu d’ouverture exceptionnelle pour toutes ces jeunes filles issues de familles intégristes, qui restent cloîtrées du matin au soir dans la concession de leurs parents, sans pouvoir lire, rencontrer des personnes différentes ou regarder la télévision.
Le 2ème constat, c’est que la rentrée scolaire est à date variable. En France, la très grande majorité des élèves sont présents le jour de la rentrée scolaire.
Nous avions à peur près 50 % des élèves dans certaines classes le 1er jour et l’effectif réel sera sans doute atteint dans 15 jours ou 3 semaines.
Certains parents inscrivent leurs filles 2 ou 3 jours après la rentrée. Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment. Ils avaient sans doute d’autres choses plus « importantes » à faire. D’autres élèves n’ont pas fini la récolte des champs d’arachides et ne viendront qu’après.
Enfin, certaines viennent de plus loin (jusqu’à 60 km) et attendent ce qu’on appelle une « occasion du marché ».
Au Tchad, où le transport public est complètement inexistant et le transport privé rarissime, la seule façon de se déplacer est de monter, moyennant finances, sur le chargement des camions « gros porteur ». Le temps d’acheminement est donc variable. Mais, bon, au Tchad, on a le temps. Nous ne savons donc pas encore à l’heure où je vous écris, c’est-à-dire 5 jours après la rentrée, combien d’élèves nous aurons exactement.
L’emploi du temps de la 1ère semaine est quelque peu aménagé à la réalité du terrain. Pendant 8 jours, tous les matins, les élèves doivent d’abord débrousser l’école pendant une heure. Par ce mot, on entend non pas « débroussailler » mais bien « enlever la brousse ». Donc les élèves, armées de leur « galanka », une sorte de binette plate, enlèvent toute la végétation qui a envahi la « cour de l’école » pendant la saison des pluies. Elles vont ensuite au forage chercher de l’eau dans des seaux pour arroser les quelques arbres plantés çà et là et qui, nous l’espérons, feront un jour de l’ombre pour la saison chaude.
Pour les profs aussi, c’est à horaire variable. Certains profs ne sont pas venus, soit parce qu’ils n’ont pas trouvé d’occasion du marché, soit parce qu’ils ne savaient pas qu’ils avaient cours et se sont pas présentés.
La 2ème semaine risque aussi d’être changeante. En effet, la rentrée scolaire au lycée public devait avoir lieu le 3 octobre et finalement aura peut-être lieu le 10 octobre. Les professeurs titularisés dans le public ne sauront leurs horaires de cours que le jour de la rentrée scolaire et comme ils ne sont que vacataires chez nous, ils donneront priorité au lycée. Alors à la dernière minute, nous risquons de nous apercevoir que tel prof ne peut pas assurer son cours et qu’il faut donc le remplacer au pied levé. Ah oui, il faut être adaptable.
Une autre surprise, c’est le niveau des élèves. Je savais qu’il était très faible mais pas à ce point-là. Après une semaine de cours, j’ai pris la résolution de faire comme si les élèves de 6ème ne connaissaient rien. Je reprends donc tout : les 4 opérations, la définition d’une droite, d’un triangle. Et puis depuis 4 mois, certaines n’ont pas utilisé un seul mot de français et, là aussi, il faut du temps pour qu’elles réactivent leurs méninges.
Alors en plus, avec mon accent français, elles me regardent avec leurs grands yeux noirs sans comprendre un traître mot de ce que je leur dis.
Pourtant, celles que nous avons, ce sont les meilleures. Nous avons fait passer un test de français et de mathématiques à toutes celles qui voulaient s’inscrire. Si elles arrivent à déchiffrer un texte de niveau primaire, qu’elles savent faire la différence entre un carré et un triangle, et qu’elles ne font pas plus de 30 fautes sur un texte de 10 lignes, elles peuvent entrer au collège. J’exagère à peine ! Nous sommes obligés d’adopter cette sélection car nous limitons le nombre d’élèves en 6ème à 45. Beaucoup voudraient entrer au collège, mais n’ont vraiment, vraiment pas le niveau.
L’enseignement au Tchad est désastreux. Ce n’est absolument pas une priorité des dirigeants de ce pays et le niveau est excessivement bas.
Dans les écoles de brousse, on peut enseigner en CP2 dès lors qu’on est en CM2. Et bien entendu, la notion de pédagogie est totalement inconnue. Les profs débitent leur cours de façon magistrale devant un parterre de 100 gamins, assis dans des conditions spartiates, et ne possédant quasiment aucun matériel.
Les profs ne maîtrisent pas toujours bien le français, langue dans laquelle ils sont censés enseigner et font de nombreuses fautes au tableau.
Charles, un coopérant américain, qui donnait des cours au lycée public, m’expliquait que dans sa classe, il avait 100 élèves dans une classe prévue pour 70. Les élèves s’installent donc sur les tables, le rebord des fenêtres, et il ne restait à Charles qu’une allée centrale de 20 cm pour circuler.
Alors forcément, avec mes 45 élèves par classe, nos cours de soutien et nos études dirigées, nous avons largement plus de candidatures que de places proposées.
L’âge d’entrée des élèves au collège est également très variable : entre 12 et 18 ans en 6ème. Ce critère entre parfois également en ligne de compte pour le choix des candidatures. Si l’élève est assez âgée, qu’elle a déjà tenté une ou deux fois le test d’entrée et qu’en plus, elle vient de la brousse ou d’une famille musulmane intégriste, elle a un peu plus de chances d’entrer au collège. Mais pour la directrice, c’est vraiment un cas de conscience à chaque fois, car elle sait qu’en refusant telle fille, elle la condamne parfois au mariage précoce et ainsi éloigne pour elle pour toujours la possibilité de s’instruire.
Alors nos élèves ont de la chance d’être là et le savent. Elles sont motivées pour apprendre même si elles doivent travailler d’arrache-pied pour réussir à remonter leur niveau.
Quant à moi, il est encore trop tôt pour dire comment je perçois mon poste. Les premiers cours n’ont pas forcément été très faciles, mais surtout parce que j’étais un peu intimidée de me trouver devant une classe si nombreuse, qui ne maîtrisait pas très bien le français et que de mon côté, j’avais du mal à évaluer leur niveau réel. Mais bon, je suis très bien encadrée par la directrice qui est une très bonne pédagogue.
Voilà pour les nouvelles.
A bientôt pour de nouvelles aventures.
Christelle