Lettre du 3 novembre 2005

Publié le par Christelle Gaborieau

NOUVELLES DE CHRISTELLE
 
Le 03 novembre 2005
 
Bonjour tout le monde,
 

    Je profite d’un départ vers N’Djaména pour vous envoyer quelques nouvelles.

     Le 5 octobre, c’était la journée internationale de l’enseignant. Je n’ai jamais entendu parler de cette journée en France. Mais ici, c’est un événement exceptionnel. Participation obligatoire. Alors j’ai participé à l’événement.
     C’était pittoresque. Les enseignants défilaient au pas dans les rues de Bitkine, les femmes en tête, les hommes derrière en scandant un petit refrain : « Les enseignants du Nord, les enseignants du Sud, les enseignants de l’Ouest, les enseignants de l’Est, tous unis pour développer le Tchad. »    Bien entendu, les enfants se faisaient un plaisir d’accompagner le cortège. Des sifflets ponctuaient notre marche. Tout cela était très pompeux, surtout que tous les enseignants portaient leur plus beau costume.
     Bref, au bout d’un moment, nous sommes arrivés devant la tribune officielle, ou plutôt les ruines de celle-ci sur lesquelles trônaient le sous-préfet, le maire de Bitkine, le commandant des forces armées…Bref, un grand parterre de personnalités.
     Là, nous nous sommes tous alignés en cercle bien correctement autour de la tribune officielle et nous avons écouté pendant une heure les discours de chaque personnalité dans un français parfois bien approximatif… et tout cela sous un soleil de plomb.
     La teneur des discours : pour développer le Tchad, il faut des enseignants payés et bien formés. Ce serait presque une lapalissade en France mais au Tchad, c’est loin d’être une évidence. Quand on sait que des jeunes ayant le niveau CM2 enseignent à des élèves de CP dans les écoles de brousse, cela explique pourquoi peu de nos élèves s’expriment correctement en français à l’entrée en 6ème. Quand on sait aussi que nos professeurs de français font des erreurs importantes lorsqu’ils parlent ou écrivent le français au tableau, une formation ne serait pas de trop. Quand on sait aussi que début novembre, les professeurs n’ont toujours pas reçu leur salaire depuis août et qu’ils n’ont pas par conséquent repris les cours depuis la rentrée fixée le 10 octobre, on ne s’étonne pas du très faible niveau d’instruction au Tchad.
    Il y aurait long à dire sur l’enseignement au Tchad et je crois que je vous en dirai plus dans les prochaines lettres.
 
    Je me rends compte que je ne vous pas encore présenté Bitkine. C’est une ville de 12000 habitants, 20000 avec les villages aux alentours.
     Il y a une route principale en latérite rouge qui ressemble fort à de la tôle ondulée et sur laquelle il est très désagréable de conduire. Sur cette route, on retrouve les fameux ânes, les chèvres et les moutons, les enfants qui courent partout, les commerçants qui ont installé leur étal de marchandises, les femmes qui portent des paquets sur la tête, des enfants qui conduisent des pousse-pousse (sorte de charrette à bras), les charrettes à bœufs qui reviennent des champs ou de la brousse. Et au milieu de tout ça, il faut se frayer un chemin en voiture ou en moto. C’est de la haute voltige.
 
Ensuite les routes secondaires sont tout simplement en terre. Elles sont complètement ravinées par les pluies tropicales. Et surtout, c’est le vide-ordures. Tout le monde jette ses déchets dans la rue et comme il n’y a pas de ramassage des ordures par la municipalité, Bitkine est une vraie décharge à ciel ouvert. De temps en temps tout de même, certaines personnes mettent le feu à des petits tas de déchets. C’est un remède assez efficace mais très éphémère.
 
    Quand vous passez le panneau d’entrée de ville, ce que vous voyez, ce n’est d’abord rien. Il n’y a rien sur 2-3 km à part la brousse.
     Ensuite, il y a l’hôpital en dehors de la ville. Il y a eu un médecin il y a deux ans, mais comme il n’était pas de la région, les habitants de Bitkine l’ont poussé à bout pour le faire partir. Et ils ont réussi. Pendant deux ans, il n’y a pas eu de médecin.
     Depuis deux mois, un nouveau médecin est arrivé. Mais là aussi, il est du Sud du Tchad et j’ai bien peur qu’il ne reste pas très longtemps.
     Cet hôpital est vraiment délabré. Il a été construit par une association humanitaire il y a quelques années. Mais comme depuis, il n’y a pas eu d’entretien, il est dans un piteux état.
     Quant à l’hygiène, n’en parlons pas !
     Je vous disais qu’il y avait un médecin depuis deux mois. Mais comme il doit faire le tour des dispensaires en brousse, il n’est pas souvent là. C’est alors le major, c’est-à-dire l’infirmier en chef, qui soigne les malades.
     Quant aux médicaments, il y en a bien théoriquement. Mais il est de notoriété publique que le pharmacien les donne à ses amis et à sa famille ou les revend sur le marché.
    Concernant la santé, il y a également un centre de santé qui est aussi mal géré que l’hôpital, à part la consultation prénatale pour les femmes qui est de très bonne qualité.
    Enfin, on trouve aussi un dispensaire protestant, qui est bien géré, mais dont les moyens d’analyse sont beaucoup plus limités.
    Voilà pour la santé.
    J’ai eu l’occasion de voir cela de plus près puisque j’ai eu une crise de paludisme 15 jours après la rentrée et que j’ai dû faire des analyses à l’hôpital. Je vous assure que j’ai particulièrement été vigilante sur la qualité des soins. J’ai par exemple moi-même désinfecté le thermomètre que le laborantin voulait me mettre dans la bouche. J’ai de la chance cependant puisqu’un des laborantins est un de mes collègues et qu’il a veillé personnellement à ce que je sois bien soignée.
 
    Je continue ma présentation de Bitkine.
    Le deuxième bâtiment qu’on rencontre, c’est la mairie. Un bâtiment tout neuf qui vient d’être inauguré, peint en blanc. Je me demande bien dans quel état il sera dans 5 ans.
 
    Ensuite, ce sont les habitations.
    Trois types principaux.
    Pour les plus pauvres, la case dont le toit et les murs sont en paille. Pour la classe moyenne, une case dont les murs sont en brique et le toit en paille. Et pour les plus riches, une maison carrée en briques crues. Toutes ces maisons sont très chaudes, mais elles ne servent pas à vivre. Elles servent juste de lieu de stockage pour les vêtements, les ustensiles de cuisine et les nattes pour le soir. Mais elles sont très peu aérées car lorsque les fenêtres existent, elles sont recouvertes de plaques métalliques inamovibles.
 
     Dans Bitkine, on rencontre indifféremment les trois types d’habitations, à une exception près. Un ministre est en train de construire une maison magnifique avec des vitres aux fenêtres, l’air climatisé, un puits privatif. Cela dépareille complètement dans le paysage et surtout cela génère de la rancœur. Il ne faut pas se leurrer : le salaire d’un ministre ne peut suffire à payer la construction d’un tel bâtiment, l’argent provient sûrement d’un détournement des fonds publics. La corruption, le détournement des fonds publics sont une vraie plaie au Tchad. Je ne sais pas quel pourcentage des fonds publics ou privés va réellement à ce pour quoi il est destiné.
 
    On rencontre également ce qu’on appelle l’école-centre. C’est l’école primaire publique. Chaque classe est construite en briques rouges. A l’intérieur, des vestiges de ce qui furent autrefois des bancs et des tables en ciment. Et dans chaque classe de 25 mètres carrés, vous mettez une centaine d’élèves d’âges et de niveaux totalement disparates. Il n’y a bien entendu ni livres, ni cahiers. Les plus intelligents s’en sortent, une minorité. Les autres tentent tant bien que mal de passer d’une année à l’autre. Il faut savoir ici que dans l’école publique, les enfants passent dans la classe supérieure avec une moyenne de 3 sur 20. C’est suffisant pour les Tchadiens.
     Continuons la visite de Bitkine. On trouve également le lycée qui regroupe en fait le collège et le lycée publics. Pour la description, c’est la même chose que l’école primaire. Le niveau n’est pas meilleur. Il faut savoir que l’année dernière, sur les 150 élèves de Terminale, série scientifique, aucun n’a eu le bac. Sur les 100 élèves de Terminale, série littéraire, 4 ont eu le bac. C’est une bonne confirmation du niveau de l’enseignement.
 
    On trouve également un palais de justice, la sous-préfecture et la fameuse estrade publique dont je vous ai parlé.
    Il reste aussi l’école privée de filles et notre collège privé de filles.
     Et voilà, j’ai fait le tour des bâtiments de Bitkine. C’est un peu maigre pour 12000 habitants. Mais voilà, nous sommes en brousse, dans la région du Guéra, la région la plus pauvre du Tchad.
    Ah, j’oubliais, il y a aussi plusieurs mosquées. Je ne sais pas exactement combien, qui appellent à la prière par haut-parleur 5 fois par jour. Le premier appel à la prière est à 4 heures 30. Oups ! Un peu tôt pour se réveiller. Bon maintenant, après plus d’un mois, j’arrive à ne plus entendre ce premier appel à la prière et j’arrive à dormir jusqu’à 5 heures - 5heures 30.
 
    Le samedi a lieu aussi un grand marché. On y trouve tout ce que propose la région, c’est-à-dire pas grand-chose : des tomates, des mangues, des goyaves, de la salade, du sucre, du mil, des pâtes, du riz, des oignons, du tissu, des chaussures en plastique, et surtout du bétail : des chèvres, des bœufs, des chameaux qui sont en fait des dromadaires, mais que tout le monde ici appelle chameaux.
   Pour les alentours, voici le paysage. Nous sommes dans une cuvette, entourée de montagnes sèches, moyennes, dont la plus haute est le mont Guéra qui culmine à 1613 mètres et qui a donné son nom à la région. Je suis dans la seule région montagneuse habitée du Tchad. Ailleurs, c’est de la plaine. Il y a bien le massif du Tibesti, mais c’est tout au nord du Tchad dans le Sahara et dans une région totalement inhospitalière puisqu’il y a encore de nombreuses mines disséminées, vestiges de la guerre avec la Libye il y a 20 ans.
 
    Nous sommes à l’extrême fin de la saison des pluies. Le sol était très sec et il n’était pas possible aux cultivateurs d’arracher leurs champs d’arachides. La semaine dernière, il y a enfin eu un gros orage tropical qui a ramolli le sol et permis à tout le monde dès le lendemain de récolter les arachides.
   C’est la 2ème fois qu’il pleut depuis que je suis arrivée. Je ne peux pas dire que je suis ennuyée par la pluie. Nous allons maintenant entrer dans la saison sèche. La température est encore relativement chaude : 35° C en moyenne. Une bonne température pour un automne.
 
   Bon, je vais arrêter là les nouvelles. Il va falloir aller porter le courrier à celui qui part demain à N’Djaména.
 
   A bientôt pour de nouvelles aventures.
Christelle

Publié dans christelle-tchad

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