Enfin des nouvelles de Christelle

Publié le par Christelle Gaborieau

NOUVELLES DE CHRISTELLE

 

 

 

 

Bitkine, le 17 avril 2006

 

 

 

 

Bonjour tout le monde,

 

 

 

 

 

 

 

 

Je commence cette nouvelle lettre sans savoir quand je pourrai l’envoyer en France. Mais les événements de ces derniers jours se sont tellement bousculés qu’il faut que je les consigne par écrit pour y voir plus clair.

 

 

 

Tout d’abord, un bref rappel historique : le président actuel du Tchad, Idriss Déby Itno, est arrivé au pouvoir par la force en 1990, élu « démocratiquement » en 1996, réélu en 2001.

Comme la Constitution l’empêchait de briguer un 3ème mandat, il l’a tout simplement fait modifier. Depuis, le mécontentement ne cesse de s’amplifier. Déby a déjà échappé à un coup d’État le 16 mai 2004. Ses plus proches collaborateurs se sont séparés de lui les uns après les autres, y compris ceux de son ethnie : les Zaghawas. Le pays ne cesse de s’appauvrir malgré les revenus du pétrole découvert dans le Sud du Tchad. Les fonctionnaires ne sont pas payés depuis trois mois, la corruption gangrène tout, depuis l’enseignement jusqu’à la santé.

Le 14 mars dernier, autre tentative de coup d’État. Et le 3 mai prochain sont prévues les élections présidentielles qui, évidemment, ne manqueront pas de reconduire Déby au pouvoir.

 

 

 

 

Bref, le Tchad va très mal et le nombre des mécontents augmente de jour en jour.

Depuis quelques mois, nous entendions parler de ces rebelles réfugiés au Soudan qui menaient des attaques sporadiques à la frontière avec le Tchad, en particulier à Adré.

Mais cela n’engendrait pas pour moi d’inquiétudes particulières : Adré est situé à plus de 500 km de Bitkine.

J’avais des doutes pour la date du 3 mai sur la réaction des Tchadiens. Mais jusque là, la vie continuait.

Je ne sais pas quel type d’informations vous avez depuis la France, mais je vais vous décrire ce que j’ai vécu depuis mon point de vue.

 

 

 

Ce mardi 12 avril, tout va bien. Ce sont les vacances scolaires et je me prépare à accueillir des coopérants de N’Djaména et du Sud du Tchad pour partir ensemble au parc de Zakouma.

À 14 heures, je pars avec Adama, mon amie, sur sa moto pour aller nous promener. Nous arrivons à hauteur de la Brigade de gendarmerie quand nous voyons arriver en face de nous une voiture avec une vingtaine de militaires lourdement armés.

Adama se retourne vers moi : « Christelle, c’est quoi, ces militaires ? » Ils nous interpellent, mais le frère d’Adama, sur une autre moto derrière nous, nous hurle : « Foncez, ne vous arrêtez pas. » Adama me raccompagne chez moi en 4ème vitesse en me donnant pour consignes de m’enfermer chez moi et d’attendre l’accalmie.

Je ne le sais pas encore, mais je viens de voir l’arrivée des premiers rebelles sur Bitkine. Et les informations circulent peu à peu. Mongo, la Préfecture, située à 60 km, est « tombée » à midi. Les sept gendarmes ont abandonné leur poste un quart d’heure avant l’arrivée des rebelles et se sont enfuis dans la montagne.

Le sous-préfet, le receveur des Postes sont faits prisonniers. Ils seront battus et libérés deux jours plus tard. Le chef du canton se voit confisquer son fusil et son Thuraya (téléphone satellitaire).

Bitkine vient de passer sous le contrôle des rebelles en un quart d’heure et sans aucun coup de feu de tiré.

Tout de suite, nous sommes survolés en continu pendant environ une heure par des avions français (les Jaguars), des hélicoptères.

Les gens passent alors de l’inquiétude à la peur : les enfants se mettent à pleurer, les mères font rentrer précipitamment leurs enfants dans les concessions, les hommes cessent leurs palabres, roulent leur natte et rentrent chez eux.

Pour expliquer ces réactions, il faut préciser qu’aucun avion ne survole jamais Bitkine, sinon quelques Mirages français, mais rarement et à très haute altitude. Là, les avions et surtout les hélicoptères volent très bas et ne cessent de tourner autour de Bitkine : les gens ont donc peur d’être bombardés.

La nuit tombe rapidement et les plus folles rumeurs se mettent à circuler : des militaires seraient stationnés dans le jardin en contrebas de Bitkine, ils se promèneraient en civil dans les rues et profiteraient de la nuit pour voler les habitants. Une véritable psychose s’installe.

Pour nous, nous craignons d’être soumis à un racket. En effet, les rebelles recherchent avant tout des voitures (mais pas notre modèle qui est une double cabine fermée), du gasoil (ouf, notre voiture roule à l’essence) et de l’argent. Et ça, par contre, nous en avons, car les sœurs paient tous les professeurs en liquide (il n’y a pas de banque à Bitkine ou à Mongo). Et d’autre part, nos craintes sont fondées car cela est déjà arrivé à d’autres sœurs sur N’Djaména. Nous délibérons sur la meilleure façon de soustraire cet argent à la convoitise des rebelles et d’un commun accord, nous décidons de l’enterrer. Eh oui, vous savez, comme dans les contes.

Nous prenons la pioche pour creuser un trou, mais comme nous avons peur d’alerter nos voisins avec le bruit des coups, nous allumons la radio. Et c’est ainsi que nous enterrons notre « trésor », de nuit, en écoutant une émission de gastronomie. Véridique ! Le cocasse de la situation ne nous échappe pas et nous éclatons de rire. Ouf, cela fait du bien au milieu de cette tension. Puis, après avoir pris soin de fermer toutes les pièces à clé, répété au gardien de ne pas s’endormir et de n’ouvrir à personne, nous partons nous coucher. Je suis saisie par le silence. D’habitude, jusque tard, surtout les nuits de pleine lune comme c’est le cas ce soir-là, les enfants jouent dehors, les hommes palabrent ou regardent les vidéos dans les vidéoclubs. Mais là, c’est le silence complet. On dirait que même les ânes se sont arrêtés de braire et les chiens d’aboyer. Autant vous dire que le sommeil a vraiment du mal à venir et que je ne m’endors qu’aux petites heures du matin.

 

 

 

Mercredi 13 avril.

 

 

À peine réveillée, j’écoute les bruits aux alentours : les femmes pilent le mil (boum, boum), les enfants crient, des motos circulent, des hommes échangent des propos dans la rue. Ouf, on dirait que la situation est redevenue normale. Je jette un coup d’œil dans la rue. Ce mercredi pourrait être un jour ordinaire si ce n’est quelques détails qui ne trompent pas. Le conflit est d’abord le seul sujet de conversation des habitants dans les rues, au marché. Les gens se rendent visite pour savoir si tout s’est bien passé la nuit derrière, échangent les dernières informations.

Autre détail : aucun homme ne se déplace sans sa radio portative et ce, quel que soit son moyen de transport : moto, vélo ou à pieds.

Et c’est d’ailleurs un trait caractéristique des jours qui suivront. Nous vivons au rythme des informations. Toutes les demi-heures, nous suspendons toute activité et nous nous ruons sur notre poste radio. Nous arrivons à capter uniquement trois stations francophones : Radio Vatican, Radio Afrique et RFI. La RNT (Radio Nationale Tchadienne) a cessé d’émettre depuis quinze jours. Comble de malchance, RFI est en grève ce jour-là pour cause salariale. Jamais notre isolement ne nous avait autant pesé (nous n’avons ni téléphone, ni TV, ni Internet) et jamais non plus nous n’avions réalisé à quel point l’information pouvait être fausse, intentionnellement ou non. Nous apprenons ainsi que le président tchadien a déclaré avoir repris le contrôle de Mongo alors que sous nos yeux ne cessent de défiler des convois militaires chargés de rebelles en direction de N’Djaména, ce qui contredit évidemment l’information.

Enfin, autre détail qui indique que nous sommes en temps de guerre : une vraie psychose s’est installée. Au marché, des rebelles s’arrêtent pour acheter des cigarettes. En deux minutes, le marché se vide totalement des clients et des marchands, malgré les paroles rassurantes des militaires. Les gens fuient et beaucoup de femmes ce jour-là ne pourront préparer à manger pour leur famille, car elles n’oseront pas retourner au marché.

À l’hôpital, 7 ou 8 voitures militaires arrivent sur le parking. Là aussi, c’est la panique. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’hôpital se vide. Les visiteurs, les infirmiers, les gardes-malades, tout le monde fuit. Seuls resteront le médecin et les malades. Toute la journée, nous verrons des rebelles circuler en convois d’environ 100 personnes.

 

 

 

 

 

Jeudi 14 avril.

À 7 heures 30, le président tchadien Idriss Déby Itno prononce son discours.

En résumé : « Le pays est redevenu calme. Il a anéanti les deux colonnes de rebelles situées aux portes de la capitale. Les coups de feux tirés provenaient uniquement de gamins qu’ils ont ramassés un à un. » Pour lui également, il accuse le Soudan d’avoir armé des hommes pour renverser son régime. Et quand on lui parle des élections présidentielles, il répond que dès l’après-midi, il va commencer son meeting électoral.

Son discours provoque une crise d’hilarité générale. La situation sur le terrain prouve exactement le contraire de ce qui est dit.

 

 

 

La vie va peu à peu reprendre son cours car de toute façon, il faut bien vivre.

 

 

 

 

Mais les informations les plus diverses circulent en tout sens, souvent alimentées par ce qui se dit à la radio. Et là, j’ai appris à prendre beaucoup de recul par rapport à ce que j’entends de la part des journalistes. Il a par exemple été dit qu’une dizaine de personnes avait été tuée à Mongo. Faux, archifaux. Les seuls coups de feu qui ont été tirés l’ont été en direction de l’antenne Celtel (l’opérateur de téléphonie mobile) car le gardien refusait d’éteindre le groupe électrogène qui l’alimentait.

Mongo avait déjà été relié de façon tardive à la téléphonie mobile par rapport au reste du Tchad. Mais là, l’espoir d’être à nouveau relié est mince. Nous entendons parler de bataille également à Melfi, Am Timan, mais là aussi, l’information se révélera fausse. Le seul événement réel est l’attaque de Mataya alors qu’aucune radio n’en parlera jamais. L’hélicoptère tchadien que nous voyons survoler Bitkine à basse altitude a lancé une bombe ( ?), une grenade ( ?), enfin un projectile quelconque sur le village de Mataya à 20 km de Bitkine, parce que les rebelles s’étaient réfugiés parmi la population, d’après ce que j’ai compris. La cause exacte n’est pas vérifiée, mais ce qui est déjà plus sûr, c’est le résultat : la bombe a provoqué un incendie et tué trois personnes.

Et cette information, nulle part, nous ne l’avons entendue.

 

 

 

Une autre inquiétude m’animait : je ne savais pas quel genre d’informations vous aviez en France, ni même si le conflit au Tchad était évoqué dans les médias. Un pauvre pays comme ça, perdu au milieu des sables, qui donc pourrait s’y intéresser ?

Mais ce que je craignais, c’est que vous ayez des informations importantes et que vous vous inquiétiez par rapport à moi.

Comment faire pour prévenir ?

Nous n’avons pas le téléphone, ni Internet. Le courrier est très long et en plus, il faut le porter à N’Djaména, ce qui était impossible, vu l’absence de circulation durant ces journées-là.

Il aurait fallu aller à Mongo pour envoyer un e-mail, mais les routes n’étant vraiment pas sûres, plus aucune voiture ne franchissait les 60 km qui nous séparaient de Mongo.

Finalement, j’ai déniché un téléphone satellitaire. Mais le propriétaire de ce téléphone ne possédait plus qu’un seul dollar de crédit et n’avait pas la possibilité de le recharger. Il a fallu attendre qu’on lui téléphone de France pour que je puisse laisser un message pour dire d’appeler ma famille et leur dire que tout allait bien. Un vrai parcours du combattant !

En France, on ne se rappelle plus guère notre facilité à communiquer, ni la chance que nous avons de pouvoir contacter toute personne à toute heure du jour et de la nuit.

 

 

 

 

La suite des vacances s’est déroulée normalement. Nous avons tant bien que mal essayé de vivre Pâques au mieux.

L’office du Jeudi Saint a pour moi été vécu comme une bulle d’oxygène au milieu de toute cette tension, ce stress.

Et puis le samedi soir, après la veillée pascale qui a duré quatre heures et durant laquelle ont eu lieu douze baptêmes, nous avons dansé et chanté jusque tard dans la nuit.

Le dimanche, c’était Pâques. L’office a duré trois heures et ont été célébrés quatre mariages. Puis nous avons raccompagné les mariés chez eux avec les groupes de jeunes de la paroisse.

L’après-midi, nous avons circulé d’une concession à l’autre en chantant, dansant, mangeant abondamment. Les musulmans nous ont tous beaucoup souhaité une bonne fête. D’ailleurs certains avaient même participé aux différents offices.

Pendant ces quelques jours, c’est comme si nous évacuions le trop-plein de stress accumulé en début de semaine.

 

 

 

Le mardi suivant, nous avons repris le chemin de l’école. Il nous reste maintenant un mois avant les vacances d’été. Cela va très vite venir.

Alors évidemment, à la fin des vacances, avec le stress dû aux événements et les fêtes de Pâques, je n’étais pas vraiment reposée pour reprendre les cours. Mais il a bien fallu s’y remettre rapidement. Le bilan à la fin des vacances est particulièrement mitigé.

Je n’ai bien sûr pas pu aller à Zakouma, le parc national, avec les autres coopérants français à cause des événements.

 

 

 

J’ai par contre passé beaucoup de temps avec mes amis sur Bitkine car nous avions l’impression d’être dans une attente pré-apocalyptique.

Je m’attendais à être évacuée d’un instant à l’autre ; j’avais d’ailleurs préparé un petit sac avec quelques effets personnels et mes papiers.

Nous ne savions pas ce qui allait se passer. Nous attendions quelque chose, mais quoi ? Le régime allait-il être renversé ? Le Tchad allait-il basculer dans la guerre civile ?

C’est une sensation étrange. On dirait que le temps s’est arrêté. On attend juste un événement qui ne vient pas.

J’ai eu peur le premier jour, le mardi 12 avril. C’est impressionnant de se retrouver face aux rebelles, surtout ne connaissant pas leurs intentions.

Mais par la suite, c’était surtout l’inquiétude de devoir laisser mes amis dans un pays en guerre, sans savoir ce qu’ils allaient devenir. C’était aussi l’impression de laisser notre collège et nos filles à l’abandon, car immanquablement cette œuvre n’aurait pas pu continuer sans nous (tous les financements viennent à 90 % d’Europe).

 

 

 

Je vais arrêter là mon roman-fleuve. Vous aurez une petite impression de ce que j’ai vécu dans ces jours agités.

Portez-vous bien. Priez pour le Tchad  pour ceux qui le veulent.

Et l’aventure continue…

                                       À bientôt.

                                      Christelle

                                                                                                                                                                                                                   

Publié dans christelle-tchad

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L
Chère Christelle, merci pour ton témoignage. Je te souhaite beaucoup de courage pour les mois à venir.
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